VI La femme disparue
(The Case of the missing Lady)

 

Le timbre posé sur le bureau du pseudo Mr Blunt résonna. Tommy et Tuppence se précipitèrent vers leur poste d’observation respectif qui s’ouvrait sur la réception, royaume de leur garçon de courses.

— Je vais m’en assurer, monsieur, déclarait Albert, mais je crains que Mr Blunt ne soit trop occupé en ce moment. Il est justement en communication avec Scotland Yard.

— J’attendrai, répondit le visiteur. Je n’ai pas de carte sur moi mais mon nom est Gabriel Stavansson.

Un homme splendide de plus de six pieds de haut, au visage bronzé et dont les yeux bleus, au regard pénétrant, contrastaient avec le hâle de sa peau.

Tommy se décida. Il prit une paire de gants et ouvrit la porte de communication. Il s’arrêta un moment sur le seuil, comme surpris.

— Ce gentleman attend que vous le receviez, monsieur, annonça Albert.

Une expression de contrariété assombrit un instant les traits de Tommy qui sortit sa montre.

— Je suis attendu chez le duc à 11 heures moins le quart. (Il leva vivement les yeux sur le visiteur.) Je peux vous accorder quelques minutes, si vous voulez bien venir par ici.

Ils pénétrèrent dans son bureau, où Tuppence, crayon et carnet en main, attendait.

— Ma secrétaire particulière, Miss Robinson. À présent, monsieur, veuillez m’exposer votre problème. À part le fait que vous arrivez en taxi et que vous êtes récemment revenu d’un voyage dans l’Arctique ou dans l’Antarctique, je ne sais rien de vous.

Son vis-à-vis le contempla, médusé.

— Remarquable ! Votre employé ne vous a même pas donné mon nom !

Tommy eut un soupir désapprobateur.

— Tout ceci est très facile. Les rayons du soleil de minuit ont une action spéciale sur la peau. Je vais bientôt écrire une petite monographie sur ce sujet. Mais tout ceci est en dehors de ce qui nous intéresse pour le moment. Qu’est-ce qui vous amène ici ?

— Pour commencer, mon nom est Gabriel Stavansson…

— Ah ! bien sûr. L’explorateur… Vous revenez du Pôle Nord, j’imagine ?

— J’ai débarqué en Angleterre il y a trois jours. Un ami qui faisait une croisière dans les mers du Nord m’a ramené sur son yacht. Normalement, je n’aurais dû être de retour que dans deux semaines. Je dois vous préciser qu’avant d’entreprendre cette dernière expédition, il y a deux ans, j’ai eu le grand bonheur de me fiancer à Mrs Maurice Leigh Gordon…

Tommy coupa :

— Mrs Maurice Leigh Gordon était avant son mariage… ?

— L’honorable Hermione Crane, seconde fille de lord Lanchester, débita Tuppence d’un trait.

Tommy lui lança un coup d’œil admiratif et l’explorateur hocha affirmativement la tête.

— Exact. Comme je le disais, Hermione et moi, nous nous fiançâmes. Naturellement, j’offris de renoncer à cette longue expédition, mais ma fiancée s’y opposa… Dieu la bénisse ! Elle est le genre de femme idéale pour un explorateur. Donc, mon premier désir à mon retour fut de revoir Hermione. Je lui envoyai un télégramme de Southampton et me dépêchai d’arriver à Londres par le premier train. Je me rendis dans Bond Street, chez sa tante, lady Susan Clonray, avec laquelle elle habite pour le moment et, à ma grande déception, j’appris que Hermy était en visite chez des amis dans le Northumberland. Lady Susan se montra assez indulgente vis-à-vis de sa nièce, car après tout, on ne m’attendait pas avant deux autres semaines. Elle m’informa que Hermy serait de retour dans quelques jours, mais lorsque je demandai l’adresse de ses amis, la vieille dame bredouilla… sa nièce devait visiter plusieurs familles – paraît-il – et elle ne se souvenait plus très bien de l’ordre dans lequel elle accomplissait ses visites. Je dois vous avouer, Mr Blunt, que lady Susan et moi ne nous sommes jamais parfaitement entendus. C’est une de ces grosses mémères à double menton… et je déteste les grosses mémères. Je me rends compte que c’est une sorte de phobie, mais je n’y puis rien et je ne pourrai jamais m’entendre avec une femme difforme.

— Mr Stavansson, coupa sèchement Tommy, chacun de nous a ses allergies.

— Lady Susan est peut-être une femme charmante, mais je n’ai jamais pu m’habituer à elle. D’autre part, j’ai toujours eu l’impression qu’elle désapprouvait nos fiançailles et que si elle le pouvait, elle dissuaderait Hermy de m’épouser. Pour en revenir à mon histoire, je suis le genre de brute obstinée qui agit à sa manière. Je n’ai pas quitté la place avant d’avoir obtenu de mon hôtesse les noms et adresses des personnes chez lesquelles Hermy était censée se trouver. Ensuite, j’ai attrapé l’express allant vers le nord.

— Vous êtes, à ce que je vois, un homme d’action, Mr Stavansson, remarqua Tommy dans un sourire.

— Mais là, j’ai eu un choc terrible, Mr Blunt. Pas une de ces personnes n’avait vu Hermy et une seule d’entre elles attendait sa visite. Celle-ci avait reçu de Hermy un télégramme annulant sa venue à la dernière minute. Je retournai donc en toute hâte à Londres, chez lady Susan, que la nouvelle – je dois le reconnaître – ennuya beaucoup. Elle avoua ne pas savoir où pouvait se trouver sa nièce mais refusa de faire appel à la police. Hermy, me fit-elle remarquer, n’était plus une jeune fille naïve mais une femme indépendante qui avait dû décider d’entreprendre un voyage de quelques jours.

« Je pensais aussi que Hermy pouvait très bien ne pas se croire obligée de faire part de tous ses faits et gestes à sa tante, cependant j’étais inquiet. Je me retirais, lorsqu’on apporta un télégramme pour lady Susan. Elle me le tendit après l’avoir lu. Il disait : « Changé mes plans. Me rends à Monte-Carlo pour une semaine. Hermy. »

Tommy tendit la main.

— Vous avez ce télégramme sur vous ?

— Non. Mais il avait été expédié de Maldon dans le Surrey. Je l’ai remarqué parce que sur le moment cela m’a intrigué. Qu’est-ce que Hermy allait faire à Maldon ? À ma connaissance, elle n’y avait pas d’amis.

— Vous n’avez pas eu l’idée de vous précipiter à Monte-Carlo de la même façon que vous étiez allé dans le Nord ?

— J’y ai pensé, bien sûr, puis j’ai renoncé. Pourquoi Hermy envoie-t-elle un télégramme, au lieu d’écrire ? Une ou deux lignes tracées de sa main auraient apaisé mes craintes, alors que n’importe qui peut signer un télégramme de son nom. Plus j’y pensais, plus cela me tourmentait. À la fin, je me rendis à Maldon. Hier après-midi. La localité est assez importante et bien desservie. Il y a deux hôtels mais pas plus dans l’un que dans l’autre, je n’ai trouvé trace du passage de ma fiancée. Dans le train me ramenant à Londres, j’ai lu votre annonce et j’ai décidé de venir vous consulter. Si Hermy s’est vraiment rendue à Monte-Carlo, je ne veux pas lancer la police à ses trousses et causer un scandale. Pour ma part, je reste à Londres au cas où… enfin au cas où il y aurait eu quelque intrigue déloyale à mon égard.

Tommy hocha pensivement la tête.

— Que soupçonnez-vous exactement ?

— Je ne sais pas, mais j’ai le sentiment que quelque chose ne va pas.

D’un geste vif, il sortit de sa poche une petite boîte qu’il ouvrit et tendit.

— C’est Hermione. Je vous le laisse.

La photographie représentait une grande femme fragile, ayant dépassé la prime jeunesse mais possédant un charmant sourire et des yeux ravissants.

— Vous êtes sûr, Mr Stavansson, que vous avez tout dit ?

— Oui.

— Vous n’avez omis aucun détail, aussi insignifiant qu’il puisse vous paraître ?

— Je ne pense pas.

Tommy soupira :

— Je dois reconnaître que cette affaire présente un caractère assez particulier. Je l’ai résolue en partie mais le temps prouvera si j’ai vu juste.

Il prit un violon posé près de lui sur la table et promena l’archet sur les cordes. Tuppence grinça des dents et même l’explorateur blêmit.

Le joueur reposa l’instrument.

— Quelques accords de Mosgovskensky, murmura-t-il. Laissez-moi votre adresse, Mr Stavansson et je vous ferai part du résultat de mes recherches.

Dès que le visiteur fut parti, Tuppence saisit le violon, le jeta dans l’armoire dont elle tourna la clé dans la serrure.

— Si vous désirez jouer les Sherlock Holmes, je vous procurerai une gentille petite seringue et une bouteille avec l’inscription « cocaïne » mais, pour l’amour de Dieu, laissez ce violon tranquille !

— Je me flatte d’avoir suivi les méthodes de Sherlock Holmes avec succès jusqu’ici. Les déductions étaient bonnes, n’est-ce pas ? J’ai dû parler de taxi un peu au hasard, je l’avoue, mais après tout, c’est le seul moyen de transport qui conduise jusqu’à nous.

— Il est heureux que j’aie lu la note faisant allusion à ses fiançailles dans le Daily Leader de ce matin.

— Oui. Cela a fait très bonne impression. Aucun doute, l’affaire serait du ressort de Sherlock Holmes. Vous n’avez pas manqué de remarquer, j’en suis sûr, la similitude entre cette histoire et la disparition de lady Frances Carfax.

— Vous attendez-vous à retrouver le corps de Mrs Leigh Gordon dans un cercueil ?

— Logiquement, oui. Mais, vous-même, qu’en pensez-vous ?

— Hermy a peur de rencontrer son fiancé et lady Susan est dans le coup.

— J’y ai aussi pensé, mais comment suggérer pareille hypothèse à un homme comme Stavansson ? Si nous allions faire un tour à Maldon, ma vieille ? Nous pourrions emmener avec nous notre attirail de golf ?

Tuppence étant d’accord, l’Agence fut laissée aux soins d’Albert.

 

À Maldon, Tommy et Tuppence se renseignèrent partout sans succès. Sur le chemin du retour, une idée géniale traversa l’esprit de Tuppence.

— Tommy, pourquoi le télégramme portait-il Maldon, Surrey ?

— Parce que Maldon est dans le Surrey, idiote !

— Idiot, vous-même !… Ce n’est pas ce que je voulais dire. Si vous recevez un télégramme, disons de Hastings ou de Torquay, il ne porte pas le nom du comté. Mais pour Richmond, on mentionne le comté, Surrey, parce qu’il existe deux Richmond.

Tommy ralentit.

— Tuppence… votre idée n’est pas si mauvaise. Renseignons-nous au prochain bureau de poste.

Ils s’arrêtèrent devant un petit bâtiment dans le premier village qu’ils rencontrèrent. Quelques minutes leur suffirent pour découvrir qu’il existait bien deux Maldon, l’un dans le Surrey et l’autre dans le Sussex. Ce dernier n’était qu’un petit hameau.

— C’est cela ! s’exclama Tuppence très excitée. Sachant que Maldon se trouvait dans le Surrey, Stavansson n’a pas prêté grande attention au comté qui commençait par la lettre S.

— Demain, nous irons jeter un coup d’œil à Maldon, Sussex.

 

Maldon, situé dans le Sussex, était bien différent de son homonyme. À quatre milles de la gare, il se réduisait à deux auberges, deux magasins minuscules, un petit bureau de poste – où la préposée vendait aussi des bonbons et des cartes postales – le tout encerclé par six ou sept petits cottages. Tuppence se chargea des magasins tandis que Tommy se renseignait dans une des auberges, à l’enseigne du Coq et du Moineau. Ils se rejoignirent une demi-heure plus tard.

— Et alors ?

— La bière est assez bonne mais rien à dire de plus.

— Essayez le King’s Head. Je retourne à la poste. La postière n’est pas aimable mais j’ai entendu quelqu’un lui annoncer de l’arrière-boutique que le déjeuner était prêt.

Elle retourna dans le magasin et se mit à examiner des cartes postales. Une jeune fille au teint frais apparut tout en mastiquant.

— J’aimerais celles-ci, dit Tuppence. Cela vous ennuierait-il d’attendre pendant que je jette un coup d’œil sur les autres ?

Elle parcourut rapidement une pile de cartes tout en remarquant :

— Je suis vraiment déçue que vous ne puissiez m’indiquer l’adresse de ma sœur. Elle séjourne dans la région et j’ai malheureusement égaré sa lettre. Elle s’appelle Leigh Gordon.

— Ce nom ne me dit rien. Nous ne recevons pas beaucoup de courrier et j’aurais remarqué le nom de cette dame si elle avait reçu des lettres. À part la Grange, il n’y a pas beaucoup de maisons dans les environs.

— Qu’est-ce que la Grange ? Qui en est propriétaire ?

— Le Dr Horriston. C’est une sorte de maison de repos, à présent. À ce qu’il paraît, le docteur y traite surtout des maladies de nerfs. Des ladies y viennent pour y suivre une cure de repos. Ma foi, c’est bien l’idéal pour ça, ici.

Tuppence fit un choix rapide de cartes et paya.

— C’est justement la voiture du médecin qui arrive ! s’exclama la jeune fille.

Tuppence s’approcha de la porte pour voir au volant de la voiture un homme brun, aux traits accusés, et à l’air hargneux. Le véhicule s’éloigna au moment où Tuppence repérait Tommy qui arrivait.

— Tommy, je crois que je tiens le bon bout. La maison de repos du Dr Horriston.

— J’en ai entendu parler au King’s Head et j’ai eu la même impression que vous. Mais si Mrs Leigh Gordon souffre d’une dépression nerveuse, sa tante et ses amis le sauraient, non ?

— Ou…i. J’ai pensé à une autre hypothèse. Vous avez vu cet homme qui vient de passer ?

— Une brute d’aspect rébarbatif ?

— Il s’agit du docteur en question.

Tommy émit un sifflement.

— Il n’a pas l’air tellement aimable. Qu’en pensez-vous, Tuppence ? Si nous allions jeter un coup d’œil à cette fameuse Grange ?

Ils finirent par découvrir la propriété, une grande bâtisse pleine de coins et de recoins, entourée de pelouses vides avec, à l’arrière-plan, un ruisseau au courant rapide.

— Un endroit pas très gai, remarqua Tommy. Il me donne la chair de poule. Vous savez, j’ai le sentiment que les choses vont se compliquer !

— Oh ! ne vous frappez pas à l’avance ! Espérons simplement que nous pourrons intervenir à temps, car j’ai la conviction que cette femme court un danger.

— Ne laissez pas votre imagination vous emporter, ma chère !

— Je ne puis m’en empêcher. Je n’ai aucune confiance en cet homme. Qu’allons-nous décider ? Et si j’allais, seule, sonner à la porte et demander carrément à voir Mrs Leigh Gordon ? Je serais curieuse d’entendre ce qu’on me répondra. Après tout, il n’y a peut-être rien de louche dans cette histoire.

La jeune femme mit son plan à exécution. Elle sonna et la porte lui fut ouverte presque aussitôt par un domestique au visage impassible.

Quand elle parla de Mrs Leigh Gordon, l’homme battit légèrement des paupières. Sa réponse n’en fut pas moins fort nette.

— Il n’y a personne de ce nom, madame.

— Je suis pourtant bien à la Grange, que dirige le Dr Horriston ?

— Oui, madame, mais je vous assure qu’aucune de nos pensionnaires ne porte le nom de Leigh Gordon.

Déçue, Tuppence battit en retraite et rejoignit Tommy qui l’attendait à l’extérieur de la grille principale. Son mari conclut :

— Après tout, cet homme disait peut-être vrai.

— Non, je suis sûre qu’il mentait !

— Attendons le retour du médecin et je me ferai passer à ses yeux pour un journaliste désireux de discuter avec lui de son système de cure de repos.

Une demi-heure plus tard, la petite voiture apparut. Tommy attendit quelques minutes avant d’aller se présenter à son tour à la porte d’entrée. Mais, lui aussi, revint bredouille.

— Le médecin est trop occupé pour être dérangé. De toute manière, il ne reçoit jamais de journalistes. Tuppence, vous avez raison. Il y a quelque chose de louche dans tout ça !

— Venez ! ordonna Tuppence d’un ton décidé.

— Qu’allez-vous faire ?

— Escalader le mur et essayer de m’introduire dans la maison sans être remarquée.

— D’accord ! Je vous suis.

Le jardin, laissé à l’abandon, offrait une multitude d’abris et le couple gagna l’arrière de la maison sans encombre. Ils se trouvèrent devant une large terrasse aux marches croulantes avec des portes-fenêtres ouvrant sur l’intérieur de la maison. Les jeunes gens renoncèrent à se hasarder à découvert. Ils se réfugièrent sous la terrasse. Soudain Tuppence agrippa le bras de son compagnon. De la fenêtre entrouverte, juste au-dessus d’eux, une voix s’éleva :

— Entrez, entrez et fermez la porte derrière vous. Vous dites qu’une femme s’est présentée, il y a une heure, et a demandé à voir Mrs Leigh Gordon ?

— Oui, monsieur.

Tuppence reconnut la voix impassible du domestique.

— Naturellement, vous lui avez dit qu’elle n’était pas ici.

— Naturellement, monsieur.

— Et ensuite, ce journaliste ! lança la voix exaspérée de l’autre. C’est la femme qui me tourmente le plus. Comment était-elle ?

— Jeune, jolie et vêtue avec goût, monsieur.

Tommy donna un coup de coude à sa compagne.

— C’est bien ce que je craignais. Probablement une amie de Mrs Leigh Gordon. Les choses se compliquent. Il va falloir que je prenne certaines mesures…

Il laissa sa phrase en suspens. Tommy et Tuppence entendirent la porte se refermer, puis plus rien.

Sans bruit, Tommy ordonna et dirigea la retraite. Lorsqu’ils parvinrent à une petite clairière suffisamment éloignée de la maison, il annonça :

— Tuppence, ma vieille, les choses deviennent sérieuses. Ils sont en train de méditer un mauvais coup. Je crois que nous devrions regagner Londres sans délai et prévenir Stavansson.

À sa grande surprise, Tuppence secoua la tête.

— Il faut rester sur place. Ne l’avez-vous pas entendu dire qu’il allait prendre certaines mesures ? Cela peut signifier n’importe quoi.

— Le pire est que nous n’en savons pas assez pour alerter la police.

— Écoutez, Tommy : pourquoi n’iriez-vous pas téléphoner à Stavansson du village ? Je resterai sur place en vous attendant.

— Peut-être est-ce, en effet, le meilleur plan. Mais dites… Tuppence…

— Eh bien ?

— Prenez garde… hein ?

— Bien sûr, grosse bête ! Dépêchez-vous.

Tommy revint deux heures plus tard et trouva Tuppence qui l’attendait près de la grille.

— Et alors ?

— Je n’ai pu joindre Stavansson. J’ai essayé lady Susan, mais elle aussi était sortie. J’ai finalement pensé au vieux Brady auquel j’ai demandé de vérifier le nom de Horriston dans le guide médical.

— Qu’a-t-il découvert ?

— Il connaissait le nom. Horriston était, à une certaine époque, un médecin sérieux, jusqu’au jour où il eut une histoire louche. Brady le tient pour un charlatan dépourvu de tout scrupule. Bon. Et maintenant ?

— Nous restons ici. J’ai le pressentiment qu’ils agiront ce soir. Au fait, un jardinier a coupé le lierre autour de la maison et j’ai vu où il range l’échelle.

— Bravo ! Ce soir donc…

— Dès qu’il fera nuit…

— Nous verrons…

— Ce que nous verrons.

Tommy relaya Tuppence tandis qu’elle se rendait au village pour se restaurer.

Lorsqu’elle le rejoignit, ils restèrent à leur poste jusqu’à neuf heures et décidèrent qu’il faisait assez sombre pour entrer en action. Ils purent errer autour de la maison sans crainte, mais, brusquement Tuppence saisit le bras de son mari en se figeant.

— Écoutez.

À nouveau, on entendit un faible gémissement de femme. Tuppence pointa un doigt dans la direction d’une fenêtre du premier étage.

— Ça vient de là, chuchota-t-elle.

La plainte s’éleva encore et les jeunes gens résolurent de mettre leur plan en action sans délai.

Tuppence guida son mari vers le coin où le jardinier avait abandonné son échelle. Ils la transportèrent sous la fenêtre d’où parvenaient les gémissements. C’était d’ailleurs la seule issue dont les persiennes n’avaient pas été fermées.

— Je monte, souffla Tuppence. Restez-là pour tenir l’échelle et faire le guet. Si quelqu’un apparaissait, je ne pourrais me défendre seule.

Silencieusement, elle grimpa les échelons et jeta un coup d’œil prudent dans la pièce sans chercher à y entrer. Elle s’accroupit un instant et leva à nouveau la tête. Un moment plus tard, elle redescendait vers son compagnon, auquel elle expliqua, à mots couverts :

— C’était bien elle. Je l’ai reconnue d’après la photo que donnait d’elle le Daily Leader. Elle est allongée sur un lit, elle gémit, se débat… Une infirmière est entrée, lui a fait une piqûre et l’a abandonnée.

— Est-elle consciente ?

— J’en suis presque sûre. De plus, j’ai l’impression qu’elle est attachée au lit. Je remonte pour essayer de pénétrer dans la pièce.

— Heu… Tuppence ?…

— Si je me vois en danger, je vous appelle à l’aide.

Coupant court à toute discussion, elle grimpa vivement et Tommy la regarda soulever le châssis à glissière de la fenêtre puis disparaître dans la pièce.

Le temps s’écoulait lentement et Tommy sentait une angoisse grandissante l’envahir. Tout d’abord, il n’entendit rien. Les deux femmes devaient s’entretenir à voix basse, si du moins la prisonnière était en état de parler. Un murmure indistinct lui parvint et il se sentit soulagé. Mais brusquement, le silence retomba. Que se passait-il donc là-haut ?

Une main s’abattit sur son épaule et la voix de Tuppence ordonna tranquillement :

— Venez !

— Tuppence ! Comment êtes-vous arrivée ici ?

— Par la porte d’entrée. Allons-nous-en.

— Hein ? Mais… et Mrs Leigh Gordon ?

— Elle se fait maigrir !

Devant le ton ironique, Tommy observa sa compagne.

— Que voulez-vous dire ?

— Rien de plus. Elle se fait maigrir… en douce. N’avez-vous pas entendu Stavansson remarquer qu’il haïssait les grosses femmes ? Eh bien ! durant ses deux années d’absence, son Hermy a grossi. En apprenant le retour inattendu de son fiancé, elle s’est affolée et s’est précipitée ici pour suivre le traitement du Dr Horriston qui consiste en piqûres dont notre médecin garde jalousement le secret tout en se faisant payer des prix exorbitants. Je suis sûre que c’est un charlatan, mais en attendant, il a un succès inouï. Naturellement, lady Susan est au courant de tout et a juré de n’en souffler mot à personne. Quant à nous, nous nous sommes conduits en parfaits idiots !

Tommy eut une large inspiration.

— Je crois, Watson, déclara-t-il avec dignité, qu’il y a un très bon concert au Queen’s Hall, demain. Nous avons largement le temps de nous préparer pour y assister. Et vous m’obligerez en ne classant pas cette affaire dans vos dossiers.

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